Le Cafard

Une fable mordante sur les politiciens britanniques et le Brexit, par un des maîtres du roman anglo-saxon contemporain
De
Ian McEwan
Traduction : France Camus-Pichon,
Gallimard,
153 pages,
16 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

« Un jour, Jim Sams, cafard au destin extraordinaire, se réveille dans le corps du Premier ministre britannique... », annonce la quatrième de couverture.

Dans ce pamphlet, Ian McEwan imagine qu'une escouade de cafards venue du sous-sol du Palais de Westminster remplace le locataire du 10 Downing Street, ses ministres (sauf un, resté purement humain) et quelques autres politiciens. Les cafards, qui se nourrissent de cadavres et prospèrent dans la saleté et la misère, décident de « donner le coup de pouce » décisif pour que le Réversalisme voté par le peuple soit, enfin, voté au Parlement. Mission accomplie en quelques jours, les cafards quittent leur enveloppe humaine et regagnent leur monde souterrain pour profiter de l'effondrement du pays.

Le Réversalisme est l'allégorie de la folie économique qu'est le Brexit : les Réversalistes postulent qu’il faut absolument inverser les flux financiers. En résumé, les salariés paieront leurs employeurs et les consommateurs seront payés pour leurs achats. Le Réversalisme s'oppose au Continualisme qui, on l’aura compris, ne souhaite pas l’inversion des flux financiers.

La politique n'est qu'un jeu tactique dont les gagnants sont les carriéristes, politiciens ambitieux, versatiles et auto-centrés.Très caustique, Ian McEwan décrit le cynisme absolu des milieux politiques et journalistiques prêts à tout pour défendre ce qu'ils possèdent : « La vie sociale contemporaine était un arsenal métaphorique d'armes remises au goût du jour, de chausse-trapes, de fléchettes empoisonnées, de mines explosives attendant un pas imprudent ». Il s'agit, entre autres, d’une fausse accusation de scandale #MeeToo montée par Jim pour se débarrasser en ¼ d'heure de son seul ministre continualiste ou, plus banal, d'une pseudo affaire entre pêcheurs anglais et méchants garde-côtes français. Ian McEwan épingle aussi les députés européens qui mettent de côté les grands problèmes pour débattre avec acharnement sur les crèmes glacées moldaves ; et, autre exemple, après la conférence d'un physicien du CERN invité à Bruxelles pour éclairer leur lanterne, les députés se demandent : « Les propos du chercheur seraient-ils encore vrais s'ils avaient été tenus dans l'ordre inverse ? ».

Donc cette Novella (les Anglo-Saxons appellent ainsi les petits romans) est un cri d'inquiétude pour l'avenir de la Grande Bretagne et peut-être aussi du monde.

Points forts

On s'amuse à retrouver les noms et les fonctions des politiciens évoqués par Ian McEwan sous des noms d'emprunts : Archie Tupper est Donald Trump (cafard aussi?) ; Jim Sams doit quelque chose à Theresa May mais beaucoup plus à Boris Johnson ; Simon, conseiller spécial de Jim, fait penser à Dominic Cummings ; Benedict Saint John, seul purement humain et continualiste, serait Philip Hammond ; Horace Crabbe est sans doute Jeremy Corbin ; Jane Fish ressemble à Jess Philipps ; etc. 

L'humour so british de Ian McEwan qui allège -un peu !- son ressentiment contre les Brexiteurs. 

Un exercice de style brillant. Félicitations à l'auteur et à la traductrice.

Le passage où la chancelière allemande, épaules basses, main sur le front et yeux las, questionne Jim : Warum...Warum...Warum…(le Réversalisme) ? La seule réponse est « parce que ».

Quelques réserves

On a connu Ian McEwan plus subtil même dans la satire mais, après tout, il s'est défoulé ! Rage et désespoir !

Encore un mot...

Cela dit, le gros coup de cafard de Ian McEwan est un peu communicatif ! Et si les politiciens arrivistes et les médias opportunistes ou inconscients, laissaient les cafards, insectes brunâtres, se glisser sous les tapis de la démocratie pour ouvrir la porte au populisme et au...fascisme ? Tentons ici d'en rire !

Une phrase

“ Avec le Brexit est entré dans notre vie politique quelque chose de laid et de profondément contraire à notre esprit, et j'ai trouvé logique de lui donner la forme d'un cafard, cette créature parmi les plus méprisées. La Métamorphose de Kafka s'impose inévitablement face à toute tentative pour évoquer la mue d'un insecte en être humain, mais après le nécessaire clin d'oeil à titre d'hommage, c'est vers Swift que je me suis tourné. L'enjeu a toujours été d'élaborer un projet politique et économique qui puisse égaler l'absurdité autodestructrice du Brexit. Je n'ai aucune certitude d'y être parvenu avec mon invention ridicule : le Réversalisme. Étant donné l'ampleur de notre projet national et son impact probable sur nous, au moins pour la génération à venir, rien ne peut sans doute rivaliser avec cette folie à grande échelle. [... ] Si la raison ne se réveille pas et ne l'emporte pas, sans doute ne pourrons-nous plus compter que sur le rire. “ (pages.17 et 18 de la préface).

L'auteur

Ian McEwan, né en 1948, est considéré comme l'un des écrivains anglais les plus doués de sa génération. Il est l'auteur d'une dizaine de romans dont L'enfant volé (prix Femina étranger 1993), Expiration, Sur la plage de Chesil, L'intérêt de l'enfant, Dans une coque de noix et Une machine comme moi.

 

Sur le site de Culture Tops, vous pouvez lire également de ce même auteur la chronique d'Une machine comme moi

 

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